Un drôle de médiateur
Dans notre établissement de l’école privée laïque » les Abeilles « , je me rappelle que nous avions toujours eu un major général. Le plus souvent c’était un élève du cours moyen deuxième année (CM2). Il s’agit de l’élève qui se débrouillait le mieux en classe. C’était aussi le gars qui gardait toujours son uniforme scolaire propre et bien repassé du lundi au vendredi. Il avait les cheveux toujours bien coupés ; bref, c’était l’exemple à suivre par nous autres cartouchards et nous avions donc tous peur de lui. Le major général pouvait même jouer le rôle de médiateur entre deux mômes de la maternelle qui se disputaient un morceau de sucette. Seulement voilà, ce terme » médiateur » par ces temps qui courent, commence par revêtir un sens totalement différent de celui que je lui connaissais.
Moi je suis togolais, et depuis quelques années, le pouvoir de mon pays se trouve en mal d’amour avec son opposition politique. Pour réconcilier les positions, nous nous sommes donc proposés de nous offrir les services d’un médiateur. Mais celui que nous avons trouvé ne ressemble en rien à mon major général du cours primaire. Non seulement ses concitoyens n’ont plus peur de lui, mais il est constamment sous le feu des critiques. Il n’est pas bon élève au cours de démocratie, il aime les ratures et commence sérieusement par énerver de paisibles citoyens. Il est président d’un Etat dont la loi fondamentale en son article 37 interdit à tout locataire de la présidence d’occuper les lieux pendant plus de 10 ans. Ce médiateur s’appelle Compaoré Blaise.
Il y a quelques mois, monsieur le président avait promis à son peuple qu’il ne briguerait pas un seul mandat supplémentaire. Mais puisque le ridicule ne tue pas l’Africain, Blaise vient seulement maintenant de se rendre compte qu’il a un alléchant programme pour son pays et qu’il est le seul intellectuel capable de mener à bien ce projet. Il a donc décidé de faire toiletter la Constitution, d’y appliquer ses ratures et d’user du tipex. On est gêné. Très très mal à l’aise. « Il est des circonstances qui imposent de ne pas craindre de déplaire, de ne pas chercher à complaire, de ne pas se taire»; dirait Jean-Baptiste Placca éditorialiste de Radio France Internationale.
Un suicidaire projet de société
Cette très vilaine publicité que Blaise offre de son pays n’augure rien de recommandable pour la démocratie africaine et on imagine combien ses pairs sont à l’affût quant à l’issue de son suicidaire projet de société. » Tiens ! Tiens ! Ce truc marche malgré tout ! « diraient les autocrates. On a juste envie de dire à ce peuple à l’instar du laboureur mourant, à l’adresse de ses enfants, « creusez, fouillez, bêchez. » Ne laissez nul moyen qui puisse vous aider à contrer le vilain projet. Le phénomène » démocratie « sur notre continent en sortira grandi. Il s’agit ici en effet d’ôter aux cancres les arguties au nom desquelles les médiocres s’accrochent au pouvoir comme s’ils étaient les seuls capables de faire le bonheur de leur pays.
Au Togo, la chose semble beaucoup plus facile pour Faure Gnassingbé. La Constitution avait déjà été raccommodée à la mesure de ses ambitions et son médiateur ne peut plus lui faire le reproche de ne rien faire pour satisfaire son opposition. Il est lui-même tombé dans les travers qu’il est censé devoir corriger. On se sent tout perdu et désorienté avec la folle envie de crier merde à la fin !!!
Nos dirigeants n’ont visiblement pas encore compris que cette Afrique-là n’a aucunement besoin d’hommes forts, mais plutôt, et seulement d’institutions fortes. Ils n’ont pas encore compris qu’ils ont chacun un devoir d’exemplarité vis-à-vis des autres nations. Enfin, ils ne semblent pas vouloir comprendre que ce qui les ferait grandir aux yeux de tous, c’est d’établir un système tel que même si le diable en personne venait à accéder à la magistrature suprême, qu’il soit obligé de faire seulement ce que le peuple lui demande et qu’il puisse se retirer impérativement le moment venu sans devoir emporter avec lui en enfer des âmes de citoyens exaspérés par des années d’autocraties. C’est à ces petits détails qu’on distingue une vraie démocratie d’une démocratie de façade.
Gbégnédzéanyi.
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