Serment d’hypocrite ou serment d’Hippocrate?

22 octobre 2014

Serment d’hypocrite ou serment d’Hippocrate?

credit photo: assurance-conseil.ch
credit photo: assurance-conseil.ch

Quand j’étais encore au cours élémentaire, mon maître me répétait sans cesse : « fais bien tout ce que tu fais, et sans oublier. Car dans cette vie tout dépend de ta volonté.» Il en a même fait une chanson que nous répétions en boucle chaque jour. Et franchement, je n’ai jamais su percer l’idée de mon maître jusqu’à cette aube d’octobre 2011 où j’ai assisté à la bêtise de l’espèce humaine.

Avant tout chers lecteurs, permettez-moi de m’apitoyer un temps soi peu sur mon propre sort.
Donnez-moi l’autorisation d’emprunter quelques vers à un grand de l’Afrique. J’ai nommé Camara LAYE.
« O Daman, ô ma mère, toi qui me portas sur le dos, toi qui m’allaitas, toi qui gouvernas mes premiers pas, toi qui la première m’ouvris les yeux aux prodiges de la terre, je pense à toi. Comme j’aimerais être enfant près de toi. Ma pensée toujours se tourne vers toi, la tienne à chaque pas m’accompagne, ô Daman, ma mère, comme j’aimerais encore être dans ta chaleur, être enfant près de toi… »
Je reviens à vous, le cœur bien gros.
Nous sommes à la veille le 18 octobre 2011. Françoise (maman) revient du service toute joyeuse et en plus bonne santé que jamais. Secrétaire de direction de son Etat, elle ne tarda pas à se muer en ménagère accomplie afin de satisfaire la gamelle de sa petite famille. N’étant pas du genre à s’attarder dans la nuit, maman prit ensuite un bon bain et regagna son lit. Dans la nuit profonde, un petit malaise de sa part ameuta la petite famille. Rapidement nous nous affairons à son chevet. Il fallait qu’elle aille mieux afin de pouvoir retourner au service le lendemain. Son poste à l’Organisation Mondiale de la Santé était bien trop stratégique pour être laissé vacant. Qui a dit qu’elle y retournerait d’ailleurs ?
Bientôt, accompagnés de papa, nous nous mettons en route pour l’hôpital. Il devait sonner 02heures du matin quand nous arrivions à la polyclinique internationale Saint Joseph de Lomé, alors que tout, sauf la santé de maman invitait au sommeil. Papa et moi, commençâmes par taper au portail de la clinique qui restait fermée. Il n’y avait pas de système de sonnerie et la guérite censée garder l’hôpital était vide de ses occupants. L’on se résolut à téléphoner à la réception. Peine perdue. Où trouver le numéro ? Même la gigantesque enseigne lumineuse qui culminait dans le ciel et brandissant fièrement le nom de la polyclinique Saint Joseph de Lomé ne portait pas le numéro à cette époque là. Une clinique « INTERNATIONALE » s’il vous plaît !

entrée de la polyclinique St Joseph credit:arnaud
entrée de la polyclinique St Joseph
credit:arnaud

Comme par enchantement, c’est maman qui prenant son mal en patience, a pu se souvenir du numéro. A plusieurs reprises, l’on sonna en vain et depuis le portail nous pouvions tous les trois entendre pleurer le téléphone ; des pleurs qui curieusement se révélaient bien trop faibles pour troubler le sommeil de l’immense centre de santé. Ironie du sort ! Papa se décida à aller bousculer l’autre portail par lequel se faisaient les évacuations d’urgence, pendant que moi je ne me lassais point d’ameuter tout un quartier à grand renfort de tambourinage d’un portail qui se refusait toujours à nous laisser passer. J’en suis arrivé à me demander si on ne se serait pas trompé d’endroit. Si on n’aurait pas confondu la clinique à une maison abandonnée, tant le vacarme que nous faisions était grand, et notre patience avait dépassé le seuil de l’acceptable.

C’est alors qu’une infirmière fut tirée de son sommeil et depuis le balcon, elle se dressa, puis d’un ton insolent, me lança :« qui va là ? Que veux-tu ? » Appréciez par vous-même chers lecteurs. Pour ma part, je dois aider maman à atteindre les urgences car elle faiblissait déjà. Je lui répondis alors : « il y a un malade. »
Bientôt, le large portail de notre clinique internationale s’ouvrit et nous eûmes accès à la salle d’attente. Quel spectacle nous y attend ! Les fauteuils qui devraient servir à accueillir les patients avaient été rassemblés et transformés en lit pour nos vigiles qui dormaient à points fermés. Extraordinaire et ahurissant à la fois ! Maman pour sa part ne se fit pas prier pour se diriger vers les urgences ; étant elle-même une habituée des lieux. Un jeune stagiaire l’aida à se coucher et alla appeler le médecin de garde. De cet instant commença mon calvaire. Notre médecin de garde, jetant son serment d’Hippocrate à l’arrière-cour de sa conscience professionnelle, prit tout son temps pour se tirer du sommeil. Le temps de commencer quoi que ce soit, notre infirmière n’eut point le temps de faire ne serait-ce qu’une simple piqûre à la jeune dame qui déjà se débattait dans les spasmes de la mort. Tout ce qu’elle put nous dire se résume comme suit : « c’est fini. » Qu’est-ce qui est fini ? Demanda vainement mon père.
Rocambolesque manière d’annoncer la plus indésirable des nouvelles à des patients. En termes plus clairs, comprenez que maman était morte. Qui pouvait le croire ? Et pourtant le fait était là dans sa plus poignante réalité.
Moi je ne vais pas m’attarder à situer des responsabilités, mais je vais vous exposer toute ma frustration.
Regardez la qualité de l’accueil ! Appréciez le laxisme ! Notez avec moi le je-m’en-fichisme ! Enfin, jaugez le manque criard de professionnalisme dont a fait preuve tout un hôpital de classe internationale dit-on !
Maman n’aurait-elle pas pu être sauvée si l’on s’était affairé autour d’elle avec beaucoup plus de diligence ? Aujourd’hui, cela fait exactement trois ans que la jeune dame a été rappelée à son créateur. Mais au-delà, combien de personnes devront encore payer de leur vie le prix de l’inertie de nos agents de santé ? Combien de fois devrions-nous encore nous époumoner à rappeler à nos médecins que « la santé du malade devrait être la première de leurs préoccupations ? » Combien de familles de patients devront encore boire jusqu’à la lie le calice de l’incurie de nos agents de santé ?
Voilà autant de questions qui lancinent encore l’esprit de la petite famille désormais amputée de l’une de ses valeurs ?
Si l’on s’acharne autour du système de santé dans les hôpitaux publics de nos Etats au sud du Sahara, il reste à noter que celui du secteur privé n’est pas des plus reluisants ; illustration faite avec la polyclinique Saint Joseph de Lomé qui elle-même se dit internationale.

Gbégnédzéanyi.

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Commentaires

Arnaud BOCCO
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Pour ne rien arranger, Mme l'infirmière revenait au lendemain nous demander: <>

Cyrille NUGA
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La vie humaine a depuis longtemps perdu de la valeur sous nos cieux, je m'interroge souvent sur la motivation qui anime certaines personnes dans le choix de leurs vocations. Cette triste et poignante scène se reproduit hélas tous les jours que Dieu fait dans notre cher et beau pays. En attendant le Togapour (à l'orée 2030), nous allons continuer à mourir en silence...mes condoléances les plus attristées mon frère!

Bruno BOCCO
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C'est un souvenir poignant que de me rappeler ce moment d'octobre 2011 où, revenu de mission de l'étranger, je n'ai plus vu ma belle-soeur de son vivant. Nous avons voulu intenter une action contre cette fameuse clinique "internationale", mais...

J'ai réussi à rassembler des témoignages défavorables... Il faut que les agents de la santé prennent conscience et fassent de la santé des malades leur première préoccupation...

Arnaud BOCCO
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À quoi bon faire semblant de prêter serment si on va préférer dormir plutôt que de sauver des vies???